1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 | L'éros leger/Michel Onfray (Extrait de "La Puissance d'Exister"/ed.Grasset) 1. Pour abolir cette misère sexuelle finissons-en avec les logiques perverses qui la rendent possible - le désir comme manque ; le plaisir associé au comble de ce prétendu manque dans la forme d'un couple fusionnel ; la famille détournée de sa nécessité naturelle et transformée en résolution de la libido envisagée comme un problème ; la promotion du couple monogame, fidèle, partageant le même foyer au quotidien ; le sacrifice des femmes et du féminin en elles ; l'enfant transformé en vérité ontologique de l'amour de ses parents. Le travail de dépassement de ces fictions socialement utiles et nécessaires, mais fatales pour les individus, contribue à la construction d'un eros léger. 2. Pour commencer dissocions amour, sexualité et procréation. La confusion de ces trois instances par la morale chrétienne oblige à aimer d'amour le partenaire de la relation sexuelle dans la perspective de faire un enfant. Ajoutons que cette personne ne peut être une relation de passage, mais un mari dûment épousé pour la femme, et une dame expressément convolée ! Sinon, péché. 3. L'avancée des moeurs couplée à celle de la science permet une véritable maîtrise de la fécondité à l'aide de la contraception. Bien évidemment prohibée par l'Eglise, elle permet une première dissociation révolutionnaire : la sexualité pour le plaisir sans la crainte d'un engendrement vécu comme une punition. La libre disposition de sa libido pour des combinaisons ludiques et pas obligatoirement familiales. A la loi Neuwirth ajoutons la loi Veil qui permet d'interrompre volontairement une grossesse non désirée. Là encore une authentique révolution. 4. Un second temps tout aussi radical devrait rendre possible la sexualité sans l'amour qui va avec - si l'on définit l'amour comme le sentiment promulgué pour faire reculer dans l'ombre l'exigence de la nature sous le dispositif du couple monogame, fidèle et cohabitant. La séparation d'avec l'amour n'exclut pas l'existence du sentiment, de l'affection ou de la tendresse. Ne pas vouloir s'engager pour la vie dans une histoire de longue durée n'interdit pas la promesse d'une douceur amoureuse. La relation sexuelle ne vise pas à produire des effets dans un futur plus ou moins proche mais à jouir pleinement du pur présent, à vivre l'instant magnifié, à épuiser l'ici et maintenant dans sa quintessence. 5. Pas besoin de charger la relation sexuelle d'une gravité et d'un sérieux a priori inexistants. Entre l'innocence bestiale, l'inconséquence d'une banalisation de l'échange de chair et la transformation de l'acte sexuel en opération imbibée de moralisme, il existe une place pour une nouvelle intersubjectivité légère, douce et tendre. 6. L'éros lourd de la tradition indexe la relation sur la pulsion de mort et ce qui en découle : la fixité, l'immobilité, la sédentarité, le défaut d'inventivité, la répétition, l'habitude ritualisée et décervelée, et tout ce qui participe de l'entropie. En revanche, l'éros léger, conduit par la pulsion de vie, veut le mouvement, le changement, le nomadisme, l'action, le déplacement, l'initiative. Nous aurons toujours assez du néant de la tombe pour offrir son obole à l'immobilisme. 7. La construction de situations érotiques légères définit le premier degré d'un art d'aimer digne de ce nom. Il suppose la création d'un champ de vibrations atomique où flottent les petites perceptions des simulacres. De Démocrite à la neurobiologie contemporaine en passant par Epicure et Lucrèce, seule la logique des particules peut tailler en pièces le fantasme des idées platoniciennes sur ce sujet. 8. Le parti pris du pur instant n'exclut pas sa duplication. La réitération des instants contribue à la formation d'une longue durée : on ne commence pas par la fin, on ne parie pas sur la destination d'une histoire, mais on la fabrique pièce par pièce. Ainsi peut-on très bien imaginer le moment comme le laboratoire du futur, son creuset. L'instant ne fonctionne pas tel une fin en soi, mais en moment architectonique d'un mouvement possible. |
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